Le bœuf sur le toit
Ils sont quatre diatos. Ou trois vielles à roue. Ce matin, ils travaillent ensemble. Pendant que leurs potes font la grasse matinée, ou se baladent, ils jouent. Ensemble. Ils tournent les standards pour s’échauffer, reprennent, se calent, tous ensemble, jusqu’à ce que ce soit bon pour le prochain bal. Tourne et retourne. Ça fait un peu de bruit, c’est sûr, mais c’est joyeux, sympa, drôle quand l’un se plante lamentablement à l’endroit le plus facile, enthousiasmant quand ils ont passé, enfin, tous ensemble, tout le morceau. Tout y passe, à l’unisson, ils moulinent : la Sansonnette, la Cochinchine, les Grandes Poteries, les Amants de Saint-Jean, la Débraillade. Et même ils bossent une nouvelle valse. A l’unisson, ils se soutiennent, s’entraînent, peaufinent leur rythme.
Joyeuse musique dans la lumière du matin.
Ce soir, après le bal, il y a bœuf. L’expression, typiquement française, vient, paraît-il, du nom du cabaret parisien historique le Boeuf sur le toit. En anglais, on dit jam-session, qui n’est pas aussi poétique, encore que la poésie du bœuf, on peut demander à voir… C’est le plaisir de jouer ensemble, librement, de prendre sa place dans un groupe inconnu ou nouveau, d’improviser.
Les diatos sont sept ce soir, les vielles à roue quatre, plus deux cornemuses, deux violons et une clarinette. Avec enthousiasme, ils moulinent à l’unisson la Débraillade, les Amants de Saint-Jean, les Grandes Poteries. Quelqu’un lance la Cochinchine, puis la Sansonnette, et quelqu’un d’autre une nouvelle valse. Et ils tournent jusqu’à ce que quelqu’un lève le pied, et hop le dernier tour.
Ça fait un peu de bruit, c’est sûr. Quand Gaétan se plante, on ne l’entend même pas. Si Cunégonde faisait des variations, on ne l’entendrait pas non plus, d’ailleurs. Ça tombe bien elle n’en fait pas. Et même la seconde voix si jolie que fait Mélusine, enfouie là-dedans, ni ouie ni connue. Amato, lui, carrément n’est pas là. Il a bien raison. Moi, j’y suis, pour Accrofolk, mais je me tais : je ne tiendrais pas le volume.
Assez, pitié, plus ! Le bœuf ne reste pas sur le toit, il passe au travers, il tombe sur nous, il écrase tout ! Moulinée, écrasée, défigurée, épuisante, la musique. Triste pour tout dire.
Mes amis musiciens, arrêtons de jouer tous ensemble, tout le temps, systématiquement…Un tour, deux tours peut-être…et puis chacun son tour…et puis on tient la basse pour faire la place aux copains – on appelle ça « faire le tapis » - et on s’écoute…et là, oh ! Basile et sa cornemuse, quelle finesse, et la deuxième voix en contrepoint d’Alfred, quel régal, et voilà qu’Ernestine lance une jolie impro jazz à la clarinette,…et même, Amato est revenu !
Le bœuf sera léger sur le toit !
Cheveux gris