Faites, fête de la musique
Dans la rue, mardi 21 juin
A gauche, une chanteuse latino tonitrue, à droite, rap rauque, en face, racata doum doum tacata, (ou bien doum ta doum tac doum doum, peut-être.), derrière, deux saxos jazz, tout ça dans des baffles qui saturent, rzz, rzz, rzz. J'avance de deux mètres. À droite, punk rock, à gauche, métal symphonique, devant, reggae, les baffles saturent, rzz. Deux mètres encore, hard rock, chanson à pleins poumons (en albanais peut-être, ou en espéranto, ou en anglais, qui sait ? Pas moi en tous cas), les baffles saturent, rzz, rzz, deux mètres, synthé en nappes, dzoum dzoum basse électrique, les baffles saturent, rzz, deux mètres, tiens, un chroma qui crache des sons de batterie, bizarre, ah non, ce sont les baffles des voisins, rzz, rzz, gratteurs de guitare, clarinettiste Balkans, électro, lambada, rzz rzz rzz, j'avance de rue en rue, je cherche de place en place... et je fuis.
Impossible d'entendre autre chose que des bribes confuses et assourdissantes. Les lecteurs d'Accrofolk se doutent que je ne raffole pas de ska... mais je ne risque pas d'apprendre à aimer quoi que ce soit ainsi. Je passe, je fuis, avec un mouvement de pitié pour les deux gentils ados qui m'ont suppliée, leurs guitares à la main, de venir écouter « leur premier concert »: pauvres chéris, qui les aura entendus ? Pas mêmes les parents et les amis qui sont venus les écouter...
C'est, paraît-il, la Fête de la Musique !
Fête, sans doute, les gens ont l'air contents, il fait beau, tenues d'été, ils flânent, se rencontrent, s'interpellent, bavardent, sucent des glaces, des bières et des machin-cola, ambiance détendue (et pourtant certains n'ont pas fini leur Bac).
Musique, par contre... où ça ? Chaque bar, chaque restau, chaque magasin a sorti ses baffles et les pousse à fond, pour être sûr de couvrir les voisins. Qui en font autant. rzz rzz rzz rzz.RZZ RZZ RZZ !!! Mélange invraisemblable, magma sonore écrasant, impensable cacophonie, c'est la fête du BRUIT!
A bien y regarder, d'ailleurs, personne n'écoute vraiment. On respire, on boit, on rit, on bavarde, en criant souvent pour couvrir le vacarme. Et la nuit est parsemée des petites lueurs bleues des écrans qu'on manipule sans cesse. Et, là-dedans, flânent des tas de musiciens qui n'essayeront même pas de sortir leur instrument: trop simple, trop discret, trop amateur, trop musical,... Le choix va au plus grand, au plus gros, au plus bruyant.
La fête de la Musique, la vraie...
Elle a eu lieu dix jours avant, à Lautenbach. Oui, la vraie ! Musique dans les salles, musique sous la tente, musique dans la cour, musique sur la place, musique dans la rue, musique dans les jardins, musique prévue et programmée, musique imprévue et improvisée, là, ici, parce que le moment est bien et que le lieu me plaît, musique avec et sans sono, musique retentissante et musique discrète, et tous les instruments, même la bassine et l'harmonica. Il y avait ceux qu'on attendait et ceux qu'on n'attendait pas, il y avait ceux qui sont sept et ceux qui sont deux, et même ceux qui sont seuls, les amateurs et les pros (pas beaucoup), ceux qui ont dix-huit ans et ceux qui en ont soixante-dix. On se laisse surprendre, tout n'est pas pareil et tout n'est pas bon, mais on reçoit, et souvent on donne. Et là, oui, là, on écoute, on écoute vraiment.
Exactement ce qu'un ministre nommé Jack Lang, qui ne savait pas quoi inventer pour se faire remarquer, avait imaginé il y a vingt-huit ans: ça s'appelait... FAITES de la Musique! Si, si, c'est vrai. Tous dans la rue, librement, joyeusement, juste un peu, quelques mesures chacun. J'avais chanté, sur une place parisienne.
FAITES de la Musique, et merci !
Cheveux Gris