Valse, valsons, valsez, ça tourne
Catastrophe !
L'ivrogne est entré sur le parquet ! D'où sort-il ? Rougeaud, suant, le ticheurte mouillé tendu sur la bedaine /les abdos-Kro, le pantalon taché, de bière sans doute, vu l'odeur, le pas mal assuré, il cherche sa place dans la danse, au milieu des danseurs. Il titube, essaie lamentablement de danser, oscille à contre-rythme. Il gêne, personne n'a envie de scandale, car on n'est pas agressif en bal folk, alors on s'écarte, les couples l'évitent. Il bougonne, il s'agite.
Quand les musiciens commencent un an-dro, il ne comprend pas, puis s'accroche à la chaîne. Part dans le mauvais sens, bouscule, se fait bousculer, se fait lâcher, bien sûr. Il s'énerve. Il vocifère. Il gesticule. La tension monte sur le parquet. Va-t-on en venir aux mains ? Personne n'en a envie, mais...
Au moment où ça pourrait craquer, les musiciens attaquent une valse. Il tourne, il s'énerve encore plus.
Alors, une femme l'empoigne. La soixantaine fine et élégante, c'est une des meilleures danseuses de la soirée, une animatrice de danse peut-être même, pour oser. Elle affronte la sueur et l'haleine avinée...peut-on dire qu'elle se sacrifie ?
Et là...le miracle.
Ils valsent. Ils valsent. Car il valse, l'ivrogne. Il ne bouscule personne. Le geste est ample, juste, le pas précis, le mouvement exact et généreux ; le coude s'efface quand il faut, le regard a le bon rythme...La valse tourbillonne, ils valsent, sur le parquet apaisé où, peu à peu, on les oublie. La valse est en lui, et ni quinze bières, ni six schnaps, ni 3,5 grammes ne peuvent la lui ôter. Sans doute a-t-il appris il y a longtemps, bien longtemps, à douze ans, ou à dix, ou même à huit, peut-être dans une de ces salles de classe, allemandes ou autrichiennes, où, sur le parquet, des autocollants marquent la position des pieds (oui, oui, j'en ai vu), car c'est à l'école qu'on y apprend à valser.
Merci l'instit !
Miracle de la valse !
Cheveux Gris